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Le béton, le ciment, le clinker : késako ?
Pour faire simple, le béton est un matériau de construction obtenu en mélangeant :
- Beaucoup de granulats – sables et graviers de toutes tailles – (environ 85%)
- Un tout petit peu d’eau (environ 5%)
- Un peu de ciment, qui serre de « colle » pour solidifier le tout (environ 10%)
En pratique c’est un peu plus complexe. Des adjuvants sont aussi incorporés au béton pour lui donner des propriétés particulières. Des armatures en acier sont ajoutées pour produire un béton armé, etc…
Il est courant de confondre ciment et béton. Or le premier n’est qu’un ingrédient du second.
Le ciment standard, appelé ciment de Portland, est très majoritairement constitué de clinker. Le clinker est obtenu en broyant et en cuisant longtemps à très haute température un mélange constitué de 80% de calcaire et de 20% d’argile.
Depuis quand utilise-t-on du béton et pour quoi faire ?
Le béton tel que nous le connaissons, à base de clinker, est finalement un matériau assez récent. Les premiers immeubles en béton ont été construits au milieu du XIXe siècle. Cependant, c’est vraiment au XXe siècle que son utilisation explose – notamment grâce à une énergie fossile abondante et peu chère qui permet d’industrialiser sa production.
Depuis, le béton est devenu le matériau de construction par excellence. Solidité, performance acoustique et thermique, résistance à l’eau, au feu : le béton est un matériau dont le monde de la construction ne sait plus se passer. Il faut dire qu’il a réussi à résoudre bien des contraintes techniques.
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Seule ombre au tableau peut-être : la durabilité des bétons armés sur le très long terme.
Alors que la durabilité du béton seul ne semble pas faire de doute – le Panthéon de Rome étant en excellent état depuis presque 2 millénaires –, celle des bétons armés poserait question du fait de la corrosion des armatures en acier si celles-ci ne sont pas correctement traitées.
C’est notamment l’analyse de Robert Courland. Dans son livre Concrete Planet1, il estime qu’une partie importante des infrastructures en béton armé aux Etats-Unis sera obsolète d’ici à la fin du XXIe siècle.
Comment est organisée la filière béton, qui fait quoi ?
En amont, se trouvent les fabricants de ciment et de granulats. Les fabricants de ciment sont les cimentiers. C’est chez eux que le calcaire et l’argile sont cuits à très haute température pour obtenir le clinker. Parmi les plus gros cimentiers en Europe : Lafarge-Holcim, Heidelberg, Unicem, Vicat ou CEMEX. Les fabricants de granulats sont les exploitants des carrières.
Au milieu de la filière, se trouvent les fabricants de béton. C’est à ce niveau que le mix (ciment – eau – granulats – adjuvants) est réalisé. A noter : les producteurs de béton sont souvent des fournisseurs de granulats, ce qui leur permet d’avoir un contrôle sur ces éléments qui constituent la majeure partie du béton et garantissent sa qualité. Les fabricants de béton sont soit des filiales des industries cimentières ou bien se fournissent en ciment auprès des cimentiers.
En aval, se situent les constructeurs qui achètent le béton aux producteurs de béton pour construire des bâtiments et des infrastructures. Parmi les constructeurs les plus importants en Europe : Vinci Construction, Bouygues, Eiffage, Hochtief, ou encore Zublin.
Quel est l’impact environnemental du béton ?
D’un point de vue carbone : la production de ciment à elle seule représente 7% des émissions mondiales.
Et c’est la Global Cement and Concrete Industry Association2 qui le dit. Si le ciment était un pays ce serait le 3e émetteur mondial3. On parle bien du ciment, car c’est en réalité la majeure partie du problème carbone dans le béton.
Le ciment, cet ingrédient qui ne représente que 10% du mix, pèse pour près de 90% de son empreinte carbone.
Pourquoi le ciment est-il si mauvais élève ?
40% de l’empreinte carbone du ciment vient de la cuisson du calcaire et de l’argile pendant 1 heure à 1450°C. Tout ceci est particulièrement énergivore, et l’énergie utilisée est aujourd’hui principalement carbonée. Les 60% restants s’expliquent par la réaction chimique qui advient au moment de la cuisson : à 1450°C, le calcaire libère du CO2 en très grande quantité.
Concernant l'extraction des matières premières : le béton c’est 75% du sable extrait sur Terre chaque année.
40 milliards de tonnes4 du sable sont extraits chaque années des mines, des carrières mais aussi des fonds marins. C’est la 2e ressource la plus consommée par les humains, après l’eau, et devant le pétrole. Or le sable n’est pas renouvelable, ce qui pose la question de sa disponibilité à long terme. Par ailleurs, son extraction est un immense facteur de destruction du vivant et de déstabilisation.
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Peut-on décarboner le béton ?
Si l’on se concentre sur l’impact carbone, deux leviers sont à actionner parallèlement pour décarboner le béton.
1/ Réduire l’empreinte carbone du clinker en remplaçant l’énergie fossile par une énergie décarbonée tout en investissant dans des unités de capture ou de réutilisation du CO2.
2/ Réduire l’impact du clinker dans les ciments ou les bétons en le substituant par des additions minérales dont l’empreinte carbone est plus faible que celle du clinker. Plusieurs matériaux pour le substituer – totalement ou en partie – peuvent être d’ores et déjà utilisés :
- Des matériaux « co-produits » issus de la métallurgie et des centrales à charbon : respectivement les laitiers de haut fourneau et les cendres volantes.
- Des ressources naturelles : le filler calcaire, la pouzzolane ou des argiles calcinées comme les métakaolins.
D’un point de vue carbone, ces matériaux n’engendrent pas de décarbonatation de la craie, ce fameux process pendant lequel le calcaire qui cuit émet du CO2. Ils nécessitent également une moindre cuisson. Les métakaolins sont par exemple chauffés pendant 5 secondes entre 600 et 850°C (au lieu de 60 minutes à 1 450°C pour le clinker).
Les différents types de béton – bas carbone, très bas carbone, ultra bas carbone – sont obtenus en fonction du pourcentage de clinker qui aura été substitué par rapport à un ciment traditionnel.
Plus ce pourcentage est élevé, plus on ira vers des bétons dits très bas carbone voire ultra bas carbone.
A noter qu’il n’existe pas aujourd’hui de définition officielle des bétons bas carbone d’autant que l’empreinte carbone des bétons augmente avec la classe de résistance. Derrière ce qu’on appelle « bétons bas carbone », se cachent en réalité de nombreuses variantes qui permettent une diminution de l’empreinte carbone de l’ordre de -30% à -65% par rapport à des bétons conventionnels4.
Au-delà de ces bétons dits « normés », certains acteurs développent des bétons dits « alternatifs » notamment avec des liants bas carbone où le clinker est entièrement substitué. C’est le cas de liants comme les laitiers de hauts fourneaux activés à froid en milieux alcalin.
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Ces alternatives bas-carbone sont-elles majoritaires ?
Les bétons bas-carbone sont encore très peu répandus.
Les ciments conventionnels à très forte concentration de clinker restent à date encore largement majoritaires. En France, en 2021, les ciments CEM I (95% de clinker ou plus) et CEM II (entre 65% et 94% de clinker) représentaient 82% de la production nationale5.
Quels sont les principaux enjeux des bétons bas carbones ?
Se pose d’abord la question de la disponibilité des ressources notamment les substituts au clinker.
Concernant le laitier de haut fourneau, 80% de la production est déjà utilisée. Et la production d’acier n’ayant pas vocation à augmenter dans le futur, cela limite l’accès à cette ressource. De ce fait, les ciments à base de laitiers ne pourraient représenter au maximum que 20% de la production totale de ciment en Europe4.
Concernant les cendres volantes, celles-ci proviennent des centrales à charbon, dont l’exploitation n’a pas vocation à s’éterniser dans le futur.
La plupart des bétons bas carbone de 2023 sont produits à base de ciments de laitier et/ou cendres volantes. Ces co-produits vont donc aider le secteur de la construction à décarboner les bétons jusqu’en 2030 avec une montée en puissance progressive des liants associant ciments, fillers calcaires, argiles calcinés et métakaolins ainsi qu’une structuration de la filière industrielle associée.
La question du coût est essentielle.
Afin de formuler des bétons bas carbones alliant performance et prix compétitif, la méthode performancielle serait une piste pertinente qui permettrait au constructeur – qui travaillerait alors directement avec les producteurs de bétons – d’être moins dépendant des gammes de ciments et bétons bas carbone du marché souvent vendus plus chers que des bétons traditionnels.
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Il faut également adapter les méthodes de construction aux bétons bas carbone.
Ces derniers sont plus sensibles aux températures basses que les bétons conventionnels, ce qui peut avoir des impacts l’hiver sur les temps de décoffrage. Il faut donc être prêt à tenir compte des saisons, adapter les plannings, faire évoluer le matériel et bien sûr former les compagnons à ces nouveaux matériaux. Mais qui dit contraintes, dit aussi parfois avantages ! Les bétons bas carbone sont très adaptés aux ouvrages en infrastructure avec notamment de meilleures performances de durabilité que les bétons traditionnels.
Enfin, la traçabilité est cruciale.
Comment s’assurer que le béton coulé est bien du béton bas carbone ? D’autant qu’avec la nouvelle réglementation environnementale, les constructeurs doivent justifier de l’empreinte carbone totale de l’ouvrage.
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En conclusion, le béton peut-il rester un matériau d’avenir ?
Nous devons d'abord bien prendre conscience de l’impact particulièrement dramatique du béton.
Partout où le béton n’est pas une absolue nécessité, il s’agit de le substituer, le remplacer, réduire les quantités et privilégier la mixité des matériaux. Vous pouvez d’ailleurs découvrir les articles d’Act for real sur les matériaux de structure bas-carbone ici.
Le meilleur béton sera toujours celui qui n’est pas coulé.
Sur certains usages, il est cependant vrai que le béton dispose à date de qualités techniques qu’aucun autre matériau ne peut égaler. Dans ces cas précis, les bétons bas carbone sont une amélioration notable qui doit être encouragée. Les maitres d’ouvrages sont clés pour y contribuer en prescrivant davantage de béton bas carbone, en laissant plus de flexibilité au constructeur et en autorisant les approches performancielles permettant d’améliorer la compétitivité de ces bétons face aux bétons conventionnels.
Néanmoins, ne nous y trompons pas.
Le béton bas carbone reste émetteur de CO2. De plus, l’extraction de ressources générée est toujours aussi problématique pour les écosystèmes et le vivant. Ce serait une erreur de se reposer sur nos lauriers, et d’attendre du béton bas carbone qu’il nous mène vers une industrie neutre. Le béton neutre en carbone et sur son écosystème, n’existe pas (encore ?). Il s’agit donc de réduire au maximum l’utilisation du béton conventionnel. Et quand il n’y a vraiment pas d’autres alternatives, avoir recours au béton bas carbone. Dans l’intervalle, nous devons continuer à innover et réfléchir pour trouver des moyens neutres de fabriquer nos villes et nos bâtiments.
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Références de l’article:
(1) Concrete Planet: The Strange and Fascinating Story of the World’s Most Common Man-Made Material, Robert Courland
(2) Report from the Global Cement and Concrete Industry Association, October 2021
(3) Emissions Database for Global Atmospheric Research (EDGAR, EU), Emissions CO2 2021
(4) Le Hub des prescripteurs bas carbone, Brief Filière. Béton : les messages clés